En pleine effervescence autour de la transformation numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), un élément majeur a récemment été mis en lumière par la Commission Gallant : la firme québécoise CGI a proposé une offre près de 29 % moins chère que celle de son principal compétiteur, le consortium LGS-IBM-SAP, lors de l’appel d’offres. Alors que le projet SAAQclic représente une avancée cruciale vers la modernisation des services en technologies de l’information pour les citoyens, ce différentiel de coût soulève plusieurs questions sur les processus d’attribution et les choix stratégiques effectués à l’époque. Plus précisément, CGI, accompagnée de l’éditeur de logiciels Oracle, avait soumis une offre globale d’environ 323,5 millions de dollars, contrastant nettement avec la soumission de 458,4 millions $ déposée en 2017 par LGS-IBM en partenariat avec SAP, un écart de 135 millions qui n’a pourtant pas été pris en compte de manière décisive. Les débats devant la Commission Gallant permettent aujourd’hui de mieux comprendre les raisons techniques, humaines et stratégiques qui expliquent ce prix plus bas, allant de la localisation des ressources francophones à la gestion du projet en passant par l’efficacité des solutions proposées. Cette mise en lumière invite également à revisiter les critères qui devraient guider la numérisation publique au Québec, entre maîtrise des coûts, qualité du service et souveraineté numérique.
Les différences majeures des offres pour SAAQclic révélées par la Commission Gallant
La transformation numérique de la SAAQ, via la plateforme SAAQclic intégrée au projet CASA, a impliqué la soumission de plusieurs offres de prestataires spécialisés en technologies de l’information. Une des révélations majeures de la Commission Gallant porte sur la différence sensible en matière de coûts entre CGI et le consortium LGS-IBM-SAP.
Voici les points cruciaux mis en évidence :
- Écart financier considérable : L’offre de CGI, évaluée à environ 323,5 millions de dollars, se distingue par son prix inférieur de 29 % par rapport aux 458,4 millions proposés par LGS-IBM-SAP.
- Phase de soumission et de dialogue : La soumission de CGI est intervenue avant la phase dite du « dialogue compétitif », étape cruciale où la SAAQ précisait ses besoins et ajustait les propositions. Ce dialogue a pu entraîner des variations dans les offres initiales.
- Disqualification prématurée : LGS-IBM et Deloitte sont allés jusqu’au dialogue, alors que CGI et Oracle ont été disqualifiés avant cette phase, empêchant l’ouverture publique de leur enveloppe.
Le procureur Alexandre Thériault-Marois, chargé de la Commission, a rappelé ces étapes afin de contextualiser la comparaison financière et éviter les jugements hâtifs. La complexité de ce processus et le cadre réglementaire encadrant les marchés publics en matière de numérisation sous-tendent en grande partie les décisions prises à l’époque.
Le tableau suivant illustre la différence des offres selon les données déposées :
| Consortium | Montant proposé | Date de soumission | Phase atteinte dans l’appel d’offres |
|---|---|---|---|
| CGI – Oracle | 323,5 millions $ | Avant dialogue compétitif | Disqualifiés avant ouverture de l’enveloppe |
| LGS – IBM – SAP | 458,4 millions $ | 2017 | Finaliste, phase dialogue compétitif |
Les enjeux financiers ne sont donc pas les seuls facteurs à avoir influencé les suites du projet SAAQclic. Les spécificités techniques, les capacités de gestion, mais aussi la souveraineté numérique et la proximité culturelle ont aussi guidé les orientations.

L’impact des ressources francophones sur les coûts et la qualité dans la transformation numérique de la SAAQ
L’une des explications données par CGI pour justifier sa soumission plus compétitive repose sur son accès à un important bassin d’experts francophones au Québec, notamment dans la région de la Capitale-Nationale. Cet avantage a réduit les coûts associés au déplacement, à l’hébergement et à la communication.
Francis Mathieu, ancien collaborateur ayant participé à l’élaboration de la soumission CGI, a souligné devant la Commission Gallant que ce facteur pouvait diminuer le risque des surenchères observées avec les profils techniques plus rares ou internationaux. Plus concrètement :
- Les équipes locales permettent une meilleure compréhension des besoins spécifiques de la SAAQ, évitant ainsi de longs allers-retours et des malentendus.
- La réduction des frais de transport et d’hébergement entraîne un abaissement significatif des coûts.
- La langue commune facilite la collaboration et réduit les besoins en traduction, facteur non négligeable dans des projets aussi complexes.
Les aspects linguistiques ont été une difficulté notable pour le consortium LGS-IBM-SAP, qui a dû s’appuyer sur des ressources provenant majoritairement d’Inde pour pallier le manque d’experts francophones. Ce recours à l’étranger a engendré des coûts additionnels liés à la traduction et à la coordination interculturelle.
Voici un aperçu comparatif des ressources :
| Caractéristique | CGI – Oracle | LGS – IBM – SAP |
|---|---|---|
| Proportion d’experts francophones locaux | Élevée | Faible |
| Coûts de déplacement et hébergement | Limité | Élevé |
| Besoins en traduction et coordination multilingue | Faible | Important |
L’importance d’un « bon bassin de ressources » locales en technologies de l’information devient ainsi un critère déterminant dans le contexte de la numérisation d’une société d’État québécoise.
Analyse des différents modèles de gouvernance du projet CASA et leur influence sur la décision de la SAAQ
Outre l’écart des prix, la Commission Gallant a révélé que la différence dans les propositions ne se limitait pas aux chiffres, mais concernait aussi la stratégie de gestion et les modes de gouvernance envisagés.
CGI proposait un mode de gestion reposant sur ses propres assises éprouvées en gestion de projets informatiques. Cette approche impliquait d’assumer un rôle prééminent de maître d’œuvre sur le projet, facilitant ainsi un contrôle renforcé sur les ressources, les livrables et le respect des échéances.
En revanche, la SAAQ désiraient conserver la fonction de maitre d’œuvre elle-même, exigeant un pilotage interne du développement informatique, ce qui a été une pierre d’achoppement :
- La firme CGI estimait que le modèle imposé par la SAAQ risquait de les rendre vulnérables face aux fournisseurs, diminuant la performance opérationnelle.
- La société d’État voulait maintenir une certaine souveraineté sur les livrables et une visibilité directe sur l’avancement du projet.
- Cette divergence a contribué à la disqualification de CGI malgré son offre financière plus compétitive.
L’équilibre entre le contrôle interne et la délégation de la gestion à un expert externe reste une problématique centrale dans la conduite des projets publics de grande envergure. Le fait que CGI propose une gouvernance intégrée offre un modèle où la responsabilité est claire, ce qui est un avantage non négligeable en gestion de risques.
Coût horaire et spécialisation technique : un regard sur la facturation et les compétences chez LGS-IBM
Au cœur des débats de la Commission Gallant, la question des coûts associés aux experts techniques engagés par LGS-IBM a également été scrutée minutieusement. Philippe Lafrance-McGuire, ancien consultant impliqué dans le projet CASA, a témoigné sur la nature des profils employés et la facturation.
Il a expliqué avoir été présenté à tort comme un « nouveau spécialiste » sur une composante technique clé de SAP appelée « Fiori », sans posséder initialement les compétences spécifiques, mais ayant dû les apprendre « sur le tas ».
Les données relatives aux frais facturés soulignent également un important écart entre la rémunération des employés et le tarif horaire réclamé par le consortium :
- Taux horaire LGS pour le projet : environ 195 à 197 $/heure.
- Salaire annuel déclaré par le consultant : 70 000 à 80 000 $, soit un taux horaire réel entre 38 et 44 $.
- Formation et montée en compétence : plusieurs employés ont dû acquérir rapidement des compétences spécifiques en cours de projet.
Ce déséquilibre soulève des interrogations classiques sur la transparence des prix appliqués dans la transformation numérique au secteur public et sur la qualité effective des expertises mobilisées. La commission enquête notamment sur la justification des marges appliquées.
Comparaison synthétique des taux et compétences
| Élément | Consultant LGS-IBM | Tarif facturé à la SAAQ |
|---|---|---|
| Compétence initiale sur SAP Fiori | Limité à nul à l’embauche | N/A |
| Tarif horaire moyen employé | 38-44 $/h | 195-197 $/h |
| Temps de formation en cours de projet | Plusieurs mois | N/A |
Conséquences et enseignements tirés par la Commission Gallant sur le projet SAAQclic
La commission d’enquête nous offre un éclairage inédit sur les complexités entourant le projet SAAQclic et révèle les tensions latentes entre prix, qualité, gestion et souveraineté numérique. Plusieurs enseignements clés ressortent de cette analyse :
- L’importance d’un appel d’offres transparent : masquer les prix avant un dialogue approfondi peut dissimuler des offres plus compétitives et entretenir la suspicion.
- Souveraineté et maîtrise locale : privilégier des ressources francophones locales apparaît essentiel pour réduire les coûts indirects et améliorer l’efficacité.
- Gouvernance claire et cohérence stratégique : la gestion centralisée du projet par une firme externe peut offrir une meilleure maîtrise des risques.
- Transparence des coûts : il est nécessaire d’équilibrer le tarif facturé et la compétence réelle pour éviter les marges excessives.
Ces constats nourrissent les débats actuels sur la future digitalisation des services publics québécois, imposant des critères renforcés dans les appels d’offres et une vigilance accrue dans le suivi des projets.
Questions fréquentes sur la transformation numérique de la SAAQ via SAAQclic
- Pourquoi CGI a-t-elle été disqualifiée malgré une offre moins chère ?
CGI a été disqualifiée avant la phase du dialogue compétitif, notamment en raison de divergences sur la gouvernance et le contrôle du projet exigés par la SAAQ. - Comment la langue a-t-elle impacté les coûts du projet ?
Le recours à des experts principalement francophones locaux par CGI a diminué les besoins en traduction et les coûts liés aux déplacements, contrairement à LGS-IBM qui s’appuyait sur des ressources internationales. - Quelles critiques ont émergé sur la facturation des consultants ?
Les écarts entre les taux horaires facturés au projet et les salaires réels des consultants ont soulevé des questions sur la transparence et la rentabilité des offres. - Quel rôle joue la gouvernance dans la réussite d’un projet public IT ?
Une gouvernance centralisée, proposée par CGI, peut assurer un meilleur contrôle et une meilleure gestion des risques, tandis que la volonté de la SAAQ de garder le contrôle a compliqué le processus. - Quelles leçons pour les futurs projets numériques publics ?
La nécessité d’établir un juste équilibre entre coût, qualité, expertise locale et contrôle de l’État est un impératif clé pour améliorer la transformation numérique publique.
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